Je ne peux souffrir de me séparer de toi,
Mon cher. Quand j’y pense, le souvenir me broie.
J’exhale un soupir plein de très profonds regrets,
Dont j’eusse aimé émailler en vers le portrait.

Le coeur est disposé à s’envoler vers toi,
Mais l’éloignement le retient en désarroi.
Quand je suis en proie à une forte passion,
Faut-il dévoiler ou cacher mon émotion?

Lequel hormis toi va donc écouter ma plainte?
D’autres s’y dérobent, invoquant des contraintes.
Emu par ton départ, le monde est devenu
Méconnaissable à mes yeux voire saugrenu.

Cette contrée n’est plus celle que je connais.
Elle s’est muée en désert abandonné.
Avant ton départ tu me tenais compagnie;
Tu étais l’épée qui lavait l’ignominie.

Nous avons passé des moments bénis de Dieu.
Et goûté à ce que la vie offrait de mieux.
Le destin m’a souri; je me suis ainsi cru
Au bord de l’Euphrate m’altérant de son cru.

Je m’en souviens non pas pour les ressusciter,
Mais des vieux souvenirs surgit l’éternité.
Tu es parti sans que l’idée m’ait effleuré
D’accuser le sort ou un choix délibéré.

Les Nuits se sont chargées de notre éloignement;
Je donnerais ma vie pour chasser ce tourment.
Le jour va-t-il rompre la haie qui nous sépare,
Qui se dresse entre nous comme un sombre rempart?

L’éloignement a mis le feu dans mes entrailles
Brûlant ainsi mon coeur comme fétu de paille.
Je ressens un ardent désir de te revoir
Que ce poème ne peut laisser entrevoir.

Je venais à peine de m’nstaller à Londres fin novembre 1927, que déjà m’est parvenue la première lettre de mon ami Hajoui renfermant le poème ci-dessus daté du 15 du même mois. Lorsque j’ai terminé la lecture de ce poème, je suis resté bouche bée, incapable de trouver les moyens de m’exprimer. Je suis demeuré dans cet état de perplexité pendant près de deux mois et, chaque fois que je rouvre la lettre, les larmes me montent aux yeux, je ne sais pas quoi dire et je la replie pour la remettre dans l’état où elle était, jusqu’au jour où mon frère Mohammed s’est rendu au pays natal pour y rejoindre son épouse, me laissant seul, réduit au silence, car je ne connaissais pas la langue du pays d’accueil, où j’étais censé travailler pour gagner ma vie. Cette lettre me tenait ainsi cimpagnie et je ne manquais pas de temps en tem[s de la relire. Un jour, mon état émotionnel a atteint un tel degré d’affectivité que ma muse a littéralement explosé comme un volcan en éruption et m’a dicté un poème que j’ai intitulé “les larmes du souvenir et que j’ai adressé à mon ami Hajoui en guise de réponse au poème qu’il a composé sur la thématique de la séparation.

Londres, 4 janvier 1928