(I)

Je brûle d’un ardent désir
D’amour et pousse un grand soupir.
Mon coeur frémit dans l’impatience
Et palpite de ses souffrances.

Puis il jaillit de bien plus belle
Mu par une peine nouvelle,
Qui a causé bien des malheurs,
Maintes frictions, voire des heurts.

Par un éclat très chatoyant,
Comme l’enfer vif flamboyant.
La peine en est à ses débuts
Impatiente dans son rebut.

Son envergure a dépassé
Le sort ingrat d’un coeur blessé,
Passant au fil de son épée
Du secret le sceau écharpé,

Qui abrite toute une vie
A pur à plein, pure à l’envi.
Il cache en plus plein de trésors
De sciences et d’arts de tous bords.

Nous en avons assimilé
Des pages de haute envolée,
Avons traîné tout en longueur
A l’ombre des parfums en fleurs.

Nous nous sommes bien rassasiés
D’un vin qui nous a extasiés.
Avons serti maintes rivières
De diamants et de solitaires

Ornant le cou des plus parfaits
Des joyaux du meilleur effet,
Dont toute belle ainsi se pare
Pour que d’autres piquent leur fard.

Seul en tire un réel pari
Celui à qui le sort sourit.
Ainsi, le lot que j’ai gagné
D’envier plus m’a épargné.

Ce sont deux esprits avisés,
Deux talents vifs et aiguisés,
Réunissant fougue et fierté
D’être à ce qu’ils ont hérité.

Rayonnant d’un air de splendeur
Reflétant le legs des grandeurs,
Ils m’ont placé aux hautes cimes
Du prestige le plus sublime.

J’étais dans un fort bien gardé,
Un trésor qu’ils sauvegardaient.
Je n’avais pas d’autre ambition,
Petite ou grande à sensation.

Des recueils de très vieux poèmes
Me fournissaient l’objet de thèmes,
Ce qui toujours me comblait d’aise
Et confirmait toutes mes thèses.

J’appréciais les attraits sans nombre
De mon logis, lieu de rencontres,
Qu’on ne quitte de son vivant,
Ni ce jour-ci ni ci-devant.

J’y respire l’air somptueux
Qu’offre un palais majestueux.
La vie a un charme à coup sûr
Que rend le luth aux cordes pures,

Le vieux nectar mûri qui grise
Tout garçon et fille bien mise,
En quête de tous les plaisirs
De volupté et de désir.

J’étais naïf et ne savais
Distinguer le bon du mauvais.
Je n’ai jamais nourri l’idée
Qu’un autre toît neuf m’attendait.

Mes chers amis, vous m’avez pris
en adoption, sans voir au prix.
Si je pouvais avoir le choix
Du genre de vie qui m’échoit,

Je n’aurais mis autour de nous
Ni frontière ni temps pour tout.
Mais, c’est la vie, destin oblige,
On n’y peut mais, il nous afflige.

Il est dans l’air plus près de moi
Que mes veines en plein émoi.
Il me prescrit une pilule
Cet ami qui. sous sa férule.

Me laisse coi dans une brouille
Le dos courbé comme une andouille.
Puis d’astuce il use et abuse,
Pour me tordre le cou par ruse.

(II)

Oh temps! Suspends ta frénésie.
Ou agis-tu par jalousie?
Pourquoi toujours être à la traîne
D’un grand singe croquemitaine,

Rallié à quelque insolent,
Stupide, lourd et impudent,
Plein de phobie pour les esprits
Pertinents et justes d’avis,

Repoussant l’homme de valeur,
Pour prendre ainsi de la hauteur,
Ecrasant les plus courageux
De l’élite des audacieux.

Il accepte de satisfaire
Les ingrats et les réfractaires.
Il élève les gens en reste
De revenus des plus modestes,

Pour qu’ils viennent se prosterner
Jusqu’à terre puis s’incliner,
S’efforçant de toucher au but,
Se dépensant tous azimuts,

Son intérêt n’est que pour lui,
Peu lui chaut la source qui luit.
Oh temps! Suspends ta perfidie
Au profit des singes maudits.

Qui négligent tous les bras forts
Qui, des lions, ont des crocs retors.
Et se courbent dès qu’un tyran
Recourt à tous ses vieux carcans.

Il reçoit les mauvais génies
Intriguant en catimini.
Est-ce un acte délibéré
Provenant d’un esprit taré?

(A corriger)

Si c’est le cas, ton excuse
Tient malgré l’expression obtuse.
Tu fais grâce de tes faveurs
A la lie du peuple frondeur,

(A corriger)

Et montres aux hommes de bien
Qu’à tes yeux ils ne valent rien.
Tu affiches aux gens d’esprit
Un outrageant air de mépris.

Ceci vient de ta confusion,
Qui se mue en obstination,
En déroute et perplexité,
Aux limites de tout doigté,

Entre l’obscur et la clarté,
La descente et la remontée,
Entre être assis et se lever,
Se modérer ou dériver,

A rebours ou bien à vau-leau,
Ou plutôt par monts ou par vaux,
Etre crispé ou détendu,
En mouvement ou étendu,

Sur le mauvais ou bon chemin,
Ligoté ou libre des mains,
Etre ingrat ou reconnaissant,
Indemne ou tout baigné de sang,

(A corriger)

Bâtir pour ensuite détruire,
Semer pour pouvoir se nourrir,
Vivre pauvre ou dans l’opulence,
Dans la gêne ou dans l’abondance,

(A corriger)

Souriant lors d’une promesse,
Renfrogné en cas de détresse.
On t’implore comme un nuage
Non résolu en pluie d’orage,

Qui emporte dans sa foulée
Déceptions et espoirs mêlés.
Phénomène tout saisissant,
Il déroute l’esprit pensant.

(A corriger)

Tu te tords entre deux contraires:
La fortune et la misère.
A celà, rien à ajouter;
Qu’as-tu de plus à miroiter?

(A corriger)

Tu te moques des dons innés
Des gouvernants et gouvernés.
Tu critiques tous les damnés,
Les neufs et les vieux surannés,

Tu les réduis à l’état coi,
Absents comme témoins narquois.
Musulmans soient-ils ou chrétiens,
Ou encor juifs ou mazdéens.

(A corriger)

Tous sont ignorants de leurs droits,
Tous sont indolents de surcroît.
Des heurts résolvent leurs querelles.
Ils sont tous ingrats, tous tels quels.

Ils rivalisent âprement
Luttent avec acharnement
Les uns contre d’autres unis
De lourds fers de lance munis.

Ils s’estiment et se disputent,
Puis se guerroient et se déciment
Ainsi la vie sur cette terre
Oscille entre espoir et misère,

Embrasement et extinction
Du feu au foyer d’émission;
Lever du soleil rayonnant,
Eclairs orageux impressionnants.

(III)

Les débuts sont porteurs d’espoir,
Puis le mal le rend dérisoire.
Les débuts bercent d’illusions,
Mais faible est le fruit des moissons.

On jette un regard euphorique,
Mais on craint le sort maléfique.
On se fait toujours du souci
D’être du nombre à la merci.

J’observe dans l’espèce humaine
L’orgueil et la mine hautaine.
Aucun parmi eux ne remplit
Les obligations qui le lient.

Rares sont ceux qui, dans leurs rangs,
Sont de crédibles contractants
A qui l’on peut avoir accès
Quand les barrières sont dressées.

Ils vous font un large sourire
Hypocrite et plein de satire,
Ne sont d’aucune utilité
Fût-ce pour des futilités.

Ils sont d’un zèle on ne peut mieux
A semer la honte autour d’eux.
Chacun d’eux n’en fait qu’à sa tête,
Riche ou pauvre, rien ne l’arrête.

Ils sont conscients de leur état,
Font pour le mieux au cas par cas,
Cherchant les issues pour s’enfuir
De l’enfer prêt à les ravir.

Ils dissimulent leurs travers,
En cachent revers et avers,
Comme s’ils ignorent qu’un jour
Ils vont répondre sans détour

D’avoir dépassé les limites
Malgré l’audace circonscrite,
Noyés dans la mer des péchés
Comme Ramsès qu’elle a fauché,

Dont les pouvoirs exorbitants
D’un tyran assoiffé de sang,
Ont fait un chef impertinent,
Mais quelque peu inconséquent.

(A suivre…)

J’ai composé ce poème que j’ai intitulé “Sentiments tempétueux” lorsque j’ai dû quitter le domicile où je suis né pour m’installer dans ma nouvelle demeure au Plateau de Bettana situé dans les environs de la ville de Salé. C’est une localité où l’urbanisme s’est étendu au tournant des années 50 et 60, et où l’habitat a trouvé un terrain favorable pour l’extension de la zône d’habitation urbaine.

J’étais à cette époque malade du diabète, ce mal incurable qui a mis les chercheurs et hommes de sciences du monde entier dans l’embarras et les a placés dans l’incapacité de lui trouver une médication appropriée susceptible de conduire à son éradication. J’ai été victime d’une perte de mémoire ainsi que d’une forte baisse de la vue et une dessication brutale de mes membres.

J’ai ressenti en m’installant dans mon nouveau lieu de résidence un sentiment de malaise doublé d’une dépression psychologique et d’un dépaysement qui m’a fait amèrement regretter de m’être éloigné du voisinage immédiat de mes deux grands amis hommes de lettres et éminents piliers du savoir, les sieurs Jaâfar et son frère M’hammed Naciri, avec lesquels j’entretenais une relation littéraire permanente, échangeais des poèmes, participais à certains travaux de recherche dans les domaines morphologique et sémantique, et approfondissais les différentes branches de la linguistique et de la grammaire arabe.

Nous étions liés par des affinités électives et une amitié à toute épreuve. Fasse Dieu que cette amitié soit durable, sans jamais connaître de repture pour des raisons de santé, d’incapacité ou pour quelque motif que ce soit, jusqu’à ce que nous puissions la léguer à nos enfants après nous.

Dans ce poème, j’ai donné libre cours à ma conception de la justice sociale en rapport avec les principes élémentaires de la morale, critiquant la dissolution du corps social qui a résulté du déclin de la moralité. J’ai essayé d’analyser la société humaine qui se débat dans des luttes politiques et idéologiques tout en affrontant des problèmes d’ordre économique et social, fruit de notre époque matérialiste exposée aux torrents dévastateurs de la corruption des moeurs et aux intempéries qui sont souvent la cause de remous et d’agitations violentes. Les croyances se sont estompées, leurs fondements effrités, les intrigues multipliées, les haines embrasées, les actes délictueux et les crimes amplifiés et aggravés. Il en est de même pour l’outrage à la pudeur, la légalisation de l’usure, le recours aux contraintes, l’imbrigation des législations, la création des voies et moyens pour les contourner et l’expansion du chaos au point où il n’existe plus ni frein ni mesures répressives.

Salé, le 15 janvier 1960.