Je fais un détour par le royaume des cieux
Pour hisser l’art de tes poèmes somptueux
Et livrer à chaque ange au milieu des bosquets
Les secrets de ton coeur exhalant leur bouquet.

Ton charme embaume les jardins édéniques,
Porté, jambe amputée, sur des ailes magiques.
Amoureux qui étais en quête de la gloire,
Ton nom est demeuré dans toutes les mémoires.

La vie est un lieu de lutte pour subsister;
Mais, Dieu m’est témoin, pour toi seul l’honneur comptait.
Nous avions un secret que tu as, par acquit
De conscience enfoui dans un touffu maquis.

Mais le jour est venu pour livrer ses merveilles
Du bel art au public qui attend tout oreilles.
Chaque rime contient un feu en combustion
D’où des étincelles fusent à profusion,

Brûlant le visage de qui nie le droit,
Sans que ce déni ne le classe hors la loi,
Eclairant les coins et recoins de sa vaillance,
Qu’un acte du hasard a réduite au silence.

Les caprices du temps n’empêcheront jamais
Le génie créateur de pouvoir s’exprimer.
Il n’y a rien d’étonnant à ce que l’on se pare
De joyaux et de colliers sertis avec art.

Le poète reste un trésor après sa mort
Et ses trésors lui survivront longtemps encor.
Bâtisseur! tu t’es distancé des ignorants
Pour faire cause commune avec les savants.

Tu as fait revivre l’ère des grands califes,
Redressant les esprits, éduquant les rétifs.
Tu te montrais seigneur dans la franche amitié,
Tu étais l’antidot, agissant par pitié.

Par Dieu, tu as toujours été son bouclier
Et, pour la défendre, son plus preux chevalier.
La langue arabe doit affronter bien des torts
Qu’on lui fait subir pour affaiblir ses abords.

Que d’arabisants lui ont dénué ses droits
Dans lesquels les siens l’ont rétablie maintes fois.
Ils ne lui ont pas nui, tant s’en faut, comme langue,
C’est la culture qu’ils exposaient aux harangues.

Ils te prenaient pour le fil d’une épée tranchante,
Et tu t’en es servie sans pitié méprisante.
Les traits du visage rougis par tant d’effort
Témoignent que de loin tu étais le plus fort.

Que de bienfaits n’as-tu pas faits autour de nous,
Tu nous laissais libres, la bride sur le cou,
Sans toi, langue arabe, où trouver de nos jours
De fervents défenseurs de tes très beaux atours?

Qui rendrait à ton prestige les honneurs dûs,
Que recèle à foison ton paradis perdu?
Tu as mené la vie d’un combat méritoire
Sans chercher à cueillir les fruits mûrs de la gloire.

Maître incontesté des générations montantes,
Il t’a suffi de former des têtes pensantes.
Toi qui as le talent de maîtriser les rimes,
Elles sont là à déplorer tes vers sublimes.

Elles n’émettent plus leurs beaux rais de lumière,
Elles qui, pour toi seul, remuaient ciel et terre.
Poète! l’amour est à portée de ta main.
Prends en ce qui te plait, fleuris en ton chemin.

Dilue à l’eau le fauve vif de son nectar,
Pour humer l’effusion d’un des vins les plus rares.
Va saluer cet homme de très grand génie,
Dont l’esprit rayonne par delà l’infini.

Va explorer près de cet être exceptionnel
La profondeur d’une pensée sempiternelle.
En rendant visite à Chawqui dans son vignoble,
Tu diras, saisi d’une émotion des plus nobles:

Béni soit le jour où le Prince des Poètes
Voit que son royaume ne manque pas d’adeptes.
Il me semblait vous voir en haut d’une colline
Dans un enclos où poussent des fleurs purpurines

Vous échangiez vos idées sur l’art poétique
Eprouvant l’un pour l’autre un attrait authentique,
Jetant de l’eau au moulin d’Abou Zeyd dont l’ère
Connait un renouveau dans l’esprit littéraire.

Tel le musc, il sentait une odeur agréable;
A la rose il était d’un éclat semblable.
Connu pour avoir toujours été généreux,
Il passait ainsi pour l’homme le plus heureux.

Ayant vécu ta vie, tu deviens immortel
Par l’image qui nous parvient du fond du ciel,
Te rappelant à la mémoire des vivants,
Incitant à l’effort pour aller de l’avant.

Traduit en français par Raouf Hajji.