Hâtez-vous lentement et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage.
Polissez-le sans cesse et le repolissez.
Ajoutez quelquefois et souvent effacez.
— Boileau – L’art poétique.

En persévérant à composer des poèmes,
On récoltera les fruits de ce que l’on sème.
Si l’on est d’un goût et d’un naturel sensibles,
On sera dispensé des règles trop pénibles,

Etant soi-même doué de dons naturels,
De Khalil se passant des lois artificielles.[1]
Celles-ci ne vont pas puiser l’inspiration
Au fond du coeur cherchant ailleurs la dérision.

L’art exclut toute contrainte et afféterie.
Mieux vaut, sans regret, s’en éloigner à tout prix.
Ne t’y engage pas de manière abusive,
Il risque de freiner toutes tes perspectives.

Familiarise-toi avec tous les recueils,
Etudie et apprends, évite les écueils.
Habitue-toi à citer de grands auteurs
Et l’art des “conseils aux jeunes littérateurs”.[2]

Méfie-toi de toute inepte poésie
Qui étreint d’agonie puis d’angoisse saisit.
Il faut mener de pair recherche méthodique
Et en parallèle analyses critiques.

Soumets chaque vers aux corrections et ratures
Pour bien le nettoyer de toute fioriture.
Ne le divulgue pas avant de le polir
Et d’être sûr qu’il n’est plus à lire et relire.

Ceux qui ont suivi ses phases de gestation
Peuvent dire s’il est mûr pour la diffusion
Et mérite d’être déclamé en public
Sans se prêter à d’inévitables critiques.

Le poème doit mériter de faire éclat
Et être accueilli en vraie tenue d’apparat.
Telle est la norme que “Zouhayr” a édictée [3]
Avec valeur de loi pour être respectée.

Il met sa muse un an à contribution
Pour élaguer chaque oeuvre de sa création.
Il a instauré un système méthodique,
Précis et rigoureux, de conception unique.

En prenant exemple sur une telle pratique,
Nous entendrons partout de la belle musique.

J’ai écrit à propos de la pratique de la poésie et des conditions qu’elle requiert, qu’il faut notamment être versé dans la linguistique et les belles lettres. Dans cet ordre d’idées, j’ai composé le poème ci-dessous que j’ai intitulé La pratique de la poésie.

(1) Khalil Ibn Ahmed: écrivain et philologue arabe du VIIIème siècle, originaire d’Oman. Publia le premier dictionnaire d’arabe où l’origine des mots est à chercher non pas dans l’ordre alphabétique, mais dans un ordre de classification phonétique. Etablit le système diacritique et mit au point les structures de la prosodie métrique de la poésie et de la prose rythmée.

(2) “Conseil aux jeunes littérateurs”: Essai de Charles Baudelaire publié pour la 1ère fois le 15 avril 1846 dans l’Esprit Public.

(3) Zouhaïr Ibn Abi Sulma: Poète arabe, de tendance moraliste, auteur de l’un des sept plus célèbres chefs d’oeuvre de la poésie antéislamique, les fameuses “mouallaqât”. Certains de ses poèmes sur lesquels il revenait sans cesse ont pris le nom de “hawliyat” (lit. annales) en raison du fait qu’il estimait qu’un poème ne pouvait atteindre le stade de la perfection qu’au bout d’une année d’améliorations linguistiques susceptibles de rendre aussi fidèlement que possible l’inspiration poétique de l’auteur.