Introduction
Les traits d’esprit mettent un poème en valeur
 Et ravissent les plus zélés des auditeurs,
 En exaltant le vrai quand ils se manifestent
 Et prônent la sagesse de l’esprit modeste.
Leurs propos clairs et nets font l’unanimité
 Qui les trouve ornés d’accents de vérité.
 Je parcours avec mes pensées le champ des rimes.
 Je nage en poète dans une mer sublime.
Je pénètre dans des jardins fleuris d’idées,
 En cueille les mûres dont ils sont inondés.
 Je puise la source de mon art poétique
 Dans la magie des mots et leur sens symbolique.
Eclatant d’une exaustive vitalité,
 Mon esprit déborde de sensibilité.
 J’ai donné libre cours à cultiver les muses,
 Bercé par les couleurs de la flore qui fusent.
L’art poétique est, dit-on, simple et compliqué;
 Cet art sort de source sans être alambiqué.
Le drame de l’inconscience
De loin m’est apparue dans mon imaginaire
 Une image exaltée par l’esprit visionnaire.
 Je vois péricliter les moeurs de la jeunesse,
 Que l’inconduite mène au bord de la détresse.
Elle se fait couvrir de honte et s’humilie
 Puis, boit l’infamante coupe jusqu’à la lie.
 Elle prétend exercer les talents des tribuns
 Pour défendre des droits la cause du commun.
Elle hante souvent tous les lieux de plaisir
 Où l’on s’adonne à la débauche et aux loisirs.
 Le progrès pour elle se limite aux habits
 Bariolés, au faciès lustré et bien fourbi.
Partout les maisons de tolérance ont fleuri
 Lui offrant des lieux de distraction favoris
 A l’instar des jolies filles qui ne font rien,
 Chacun d’eux représente un fardeau pour les siens.
Certains taxent autrui de débiles mentaux
 Et prétendent qu’ils sont la crème du gâteau.
 Ils nous déshonorent en brandissant l’épée
 Pour se nourrir de la chair des hommes huppés.
D’autres ont pris un air hautain et arrogant
 Qui trahit un rêve aux aspects extravagants.
 Ils disent qu’ils portent l’emblême de la gloire,
 Mais de ce qu’ils disent ils ne font rien valoir.
Pourquoi n’émerge-t-il pas un homme sérieux
 Dans leurs rangs pour sauver ce qui l;es rend anxieux?
 Ils n’atteindront jamais du prestige le faîte
 Tant qu’ils n’affrontent ni orages ni tempêtes.
Ils ne s’intéressent à rien, ni à la science
 Ni à leurs études, par manque de conscience.
 Quant à la foi, ils la rejettent derrière eux
 Sous prétexte que sans elle tout irait mieux.
La critique chez eux tourne souvent aux diatribes
 Qui laissent l’essentiel pour s’en prendre à des bribes.
 Ainsi sont les lâches et telle est leur nature
 Qui du silence ignore l’éloquence pure.
Dotés d’esprits parmi les moins équilibrés,
 Ils prennent le sérieux pour quelque simagrée.
 Tout autour d’eux paraît difficile d’accès,
 Les propos discourtois seuls vont jusqu’à l’excès.
Un air de triomphe se lit sur leurs visages
 Quand, sans défense, ils font l’objet de tant d’outrages,
 Se berçant d’illusions en criant courage
 Et se leurrant en se laissant prendre aux mirages.
En aucun cas, ils ne sauraient avoir recours
 Pour les besoins de la cause, à l’art du discours.
 Le rustre peut à peine exprimer des propos
 Pleins de stupidité, dérisoires et idiots,
Que les auditeurs prennent en aversion
 Et l’homme cultivé chasse par répulsion.
 Des esprits parmi les plus stupides avancent
 Que le parler moderne a plus de consistance.
L’art de la rhétorique
Restreindre à l’Europe l’art de la rhétorique
 C’est le réduire à un discours fort emphatique.
 Laissez la parole à qui sait parler en maître,
 Pour manier le verbe et choisir où le mettre.
Sinon, faisons appel à la sagacité
 Du juge “Abou Chouâïb” dont l’impartialité (1)
 Ne laisse guère place aux fraudes de nature
 A travestir le vrai en le chargeant d’enflures.
Imam dans la noble tradition du prophète,
 Tu es ès qualités, juge au prendre et au fait.
 Maître de rhétorique au sein d’une nation,
 Qui ignore jusqu’à l’art de l’élocution.
Cet homme se distingue par son noble coeur,
 La largesse d’esprit, le respect des valeurs.
 On le reconnaissait au faciès serein
 Que dominait un oeil vif, railleur et câlin.
Dès l’enfance, il a aspiré avec ardeur
 A fendre les flots dans les mers de la grandeur.
 Il entrait en compétition avec autrui
 Dans les domaines du savoir avec l’appui
De facultés innées, tel un cheval de race
 Qui, dans chaque course, ses concurrents terrasse.
 Il est l’unique grand homme dans sa contrée
 Prostrée par l’ignorance et prête à s’effondrer.
Il l’a ressuscitée grâce aux cours qu’il donnait
 Sur la vie du prophète qui nous passionnait,
 Et où il exposait les idées réformistes
 Et mettait en valeur les courants progressistes..
Il a propagé d’une manière très fine
 La parole sainte et la lumière divine.
 Ses discours sont toujours émaillés de propos
 Illustrant le rapport des idées et des mots.
Flambeau qui éclaire les cas les plus obscurs,
 Il est la vraie clé de voûte des sciences pures.
 Pilier de l’art de la rhétorique sorti
 D’un monde qui l’ignore en tout ou en partie.
Telle est l’expression d’un profond dévouement
 A l’homme émérite qui plane au firmament.
 Je la dédie avec le plus profond respect
 Au savant qu’admirent les jeunes circonspects.
Je suis certes le moins génial de nos poètes,
 Mais au plan affectif, le meilleur interprète.
 Enfants du siècle cessez de songer à mal
 Ma plume a une voix satirique qui râle.
Si vous ne mettez pas fin à vos noirs desseins,
 D’épines de rosier votre front sera ceint.
 Aux fourbes je déclare un combat sans merci
 Afin d’éradiquer souffrances et soucis
Et d’arrêter le mal qui nous tous foule aux pieds,
 Grâce au fil de l’épée, qui tue sans pitié.
 Quant aux sans scrupules qui redressent la tête,
 Ils ne perdent rien pour attendre un sort abject.
Ce combat tend à leur faire prendre le pli
 De s’avouer vaincus, de se voir avilis
 Lâchement réduits à une longue impuissance,
 Ils ont perdu la voix en toutes circonstances..
Ma langue est une arme tranchante tel le fer.
 Subir son courroux c’est la descente aux enfers.
 Elle ôte de l’esprit les écarts de jeunesse
 Et combat l’ignorance et la scélératesse.
[1] Né le 20 octobre 1878 dans un village de la région des Doukkalas, Abou Chouaib Doukkali a poursuivi ses études auprès de cheikhs réputés et a pu acquérir une grande maîtrise du Coran et une parfaite connaissance des règles de la grammaire et de la syntaxe. Il fut nommé par Hassan 1er à l’Université de la Karawiyine. Animé de la soif du savoir et du désir de parfaire sa culture, il partit en 1896 pour l’Orient où il fut le disciple des grands savants d’Al Azhar, de la Mecque et de Médine. Lors de son séjour au Héjaz, il établit de nombreux contacts avec les savants et les dignitaires de cette contrée.
En 1907, il retourna au Maroc à l’âge de 29 ans. Le souverain le nomma juriste à Marrakech et Président du Conseil scientifique de la ville de Fès et l’autorisa à assurer des cours dans différentes villes du Royaume, et en particulier à Rabat, Fès et Marrakech. Puis, il fut nommé ministre de la justice et Président de la Cour d’appel de Rabat, tout en conservant ses fonctions d’enseignant.
Son nom fut par ailleurs lié à la propagation de la doctrine salafiste au Maroc. L’objectif de son enseignement fut d’approfondir l’exégèse du Coran et l’explication de la Sounna, en s’appuyant sur la tradition religieuse et en écartant celles parmi nos tradions et coutumes ancestrales qui étaient susceptibles de porter préjudice à l’Islam. L’enseignement fut pour lui le terrain privilégié où il pouvait mener à bien sa mission de réformateur qui consistait à défendre un traditionnalisme rénové à un moment où le Maroc était sous domination coloniale. Son école ouvrit de nouveaux horizons à la pensée marocaine, malgré l’atmosphère de stagnation intellectuelle qui caractérisait les années 20 du siècle écoulé au Maroc.
Pendant la maladie qui devait l emporter, il fut honoré de la visite que lui rendit feu Mohammed V . Il s’éteignit à Rabat le 17 juillet 1937 et fut inhumé dans cette ville face à Dar Achraf Ouezzan au Boulevard Sidi Fatah.
— Extraits du texte internet de l’Université Chouaib Doukkali.
 
						 
										