Le destin m’a conduit au grand large des mers
Où grondaient les dangers de houles meurtrières.
Lâché au rivage d’une terre lointaine,
Seul, pieds et poings liés, placé en quarantaine,

Exposé aux échecs, aux chocs, à la misère,
Je me suis dit: “Le sort en est jeté”, que faire?
Le mal s’est installé dans mon corps impuissant
A défendre à la fois et ma chair et mon sang.

Il n’a pas desserré sa formidable étreinte,
Me laissant gésir sur des roches qui m’éreintent.
Comment puis-je échapper à ce funeste sort?
Est-ce bien le moment d’étaler tous mes torts?

J’étais emporté par la dérive du temps;
D’illusions me laissant bercer à tout instant.
Tel ne fut nullement ce à quoi j’aspirais;
Et mon état n’a fait depuis lors qu’empirer.

Je me trouve ainsi qu’en prison sur une terre,
Lieu d’exil destiné aux révolutionnaires.
Ses murs sont peints en noir, noirs sont ses environs,
Depuis la nuit des temps, entâchés de goudron.

Elle a choisi le noir, de deuil triste couleur,
Le portant nuit et jour, et toujours d’heure en heure.
Maussade y est le temps, morose l’atmosphère,
Faisant fuir le soleil, abrité dans sa sphère.

Son ciel est couvert de brumes qui se déplacent,
Remuant l’air frais qu’on hume sans qu’on s’en lasse.
La nuit, il se transforme en feux entrelacés
Que cache une fumée d’un rouge violacé.

Il n’est ni d’un noir qu’on dit opaque et obscur,
Ni d’un brillant qui plait par sa belle parure.
Les étoiles derrière l’écran de poussière
Ne livrent aucun accès à leur faible lumière.

Sa part de la nature est réduite à un froid
Glacial qui vous saisit au corps comme une proie.
On a beau se couvrir, se griser d’eau de vie,
En souffrir les rigueurs, rien n’y fait; il sévit!

Le rhume quotidien y est monnaie courante;
Rien ne peut l’arrêter dans sa course rampante.
Le ciel l’arrose par une pluie torrentielle
De rafales ou de bruines sempiternelles.

La neige s’y étale en masses abondantes,
Causant plein de dégâts dans la flore hibernante.
Un tel spectacle fait penser à ces sorcières
Drapées d’un linceul blanc, semblable au saint suaire,

L’une de ces vieilles, courbée et tremblottante
Vue d’une terrasse, se mouvant chancelante,
Arbore un air hautain vis-à-vis des intrus,
Le faciès renfrogné, d’orgueil toute férue.

Grisée de prestige, la très haute volée,
Sans regarder au prix, règle ce qui lui plaît.
Les touristes viennent fort nombreux chaque jour,
De pays très lointains autant que d’alentours.

Ils sont tout ébahis, mûs par l’admiration,
Surpris d’étonnement, saisis de séduction.
Les curieux qu’attirent mille et une merveilles,
Adorent cette ville à nulle autre pareille.

Ceux que le ouI-dire ne saurait satisfaire
Préfèrent voir des yeux, non par l’imaginaire.
Ils verront ce qu’il m’a été donné de voir
Au cours de mon périple entre ville et terroir.

A chaque bain de foule, on y voit réunis
Des gens à principes ou en sont démunis.
La multitude y vient, question de préséance,
Mue par l’appât du gain ou le goût de la science.

Pour ma part, je suis de ceux qui y sont venus
S’adonner au commerce où je suis un roi nu.
Mon parcours dans cette nouvelle activité
Est parsemé d’embûches et de calamités.

Je n’y ai nulle part rencontré d’âme intime
A qui je confie le secret de mes rimes.
D’énormes obstacles pèsent sur ma conscience,
Réduisent mes forces, me font perdre patience.

Peut-être est-ce là une voie salutaire
Si l’index n’était mis sur l’amitié sincère,
Qui sur son visage porte les traits amènes
De beauté, de gaieté et d’humeur les plus saines

A l’instar de celles que j’ai perdues de vue,
A qui j’écris même si leur plume s’est tue.
Mon estime pour eux défie toute épreuve
Leur place dans mon coeur en est une autre preuve.

Je ne fais qu’espérer nous réunir autour
Du cercle des amis de l’ivoirine tour.
Lorsque l’éloignement se mêle aux souvenirs,
Pleurer est ma lyre, gémir mon repentir.

Mes entrailles sont comme des braises ardentes,
Brûlant d’une nostalgie combien débordante!
Séparé d’eux je suis devenu dépressif,
Désespéré de tout, d’un courroux maladif.

Je me sens exilé, loin de ma patrie-mère,
Qui m’a ainsi vu naître à l’autre bout des mers.
Théâtre est mon pays d’actes retentissants
Dont j’ignore les tenants et aboutissants.

Je n’en suis informé qu’avec parcimonie,
Et le peu que j’apprends m’annonce une ère honnie.
On m’eût pris pour quelqu’un grondé pour des broutilles
Que sa mère renvoie après quelques vétilles.

Le destin m’a servi un fiel des plus amers.
Le malheur m’a vêtu d’un habit de galère.
C’est à vous mes amis que j’adresse ma plainte
De perles émaillée, de mes larmes empreinte.

Elle ôte le voile sur l’état de rancoeur
Dû à la nostalgie à vous fendre le coeur.
C’est là que j’ai puisé mon fond d’inspiration
Pour rendre le secret d’une âme en perdition.

Les larmes que je verse dans mon désarroi
Alimentent ma plume sans cesse aux abois.
Ma peine se réduit dans l’espoir d’un écrit
Qui, seul, a le pouvoir d’en étouffer les cris.

Ne tardez surtout pas à répondre à l’appel
D’un ami qui, à vos mémoires, se rappelle.
Soyez indulgents quant à mon impéritie;
J’ai dû faire un effort pour narrer mon récit.

Lettre ouverte adressée de Londres le 18 janvier 1928 au cercle des hommes de lettres marocains amis du poète.