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Mon cher Abdelaziz, je vois que tu oublies
Les inoubliables promesses qui nous lient.
Notre serment est bien écrit sur parchemin,
Pourquoi l’as-tu violé d’un revers de la main?

Tes lettres ne devaient pas cesser d’affluer.
C’était promis. Sur quoi ont-elles reflué?
Rares sont les êtres fortement déprimés,
Que l’absence semble éloigner à tout jamais.

Ils trébuchent sur les entraves du malheur,
Morfondus d’angoisse, se tordant de douleur.
J’ai failli tomber dans un accès de folie,
Que j’ai bue en compte-gouttes jusqu’à la lie.

Mais quand il se met à resserrer son étreinte,
Je me sens écrasé comme sous une plinthe.
Si tu pouvais me voir les yeux chargés de larmes,
Saisi de détresse, tu dirais: Dieu, quel charme!

Plus je prends conscience de mon éloignement,
Plus je pense à vous, jour et nuit, à tout moment.
J’ai hâte que mon maître Abou Chouâib accepte
De tendre les deux mains à un disciple inepte.

De l’autoriser à assister à ses cours
Qui mènent au plus haut niveau de leur parcours,
Convainquent et charment par sa grande éloquence,
Que l’on apprécie tête baissée par décence.

De se laisser vêtir d’habits de sa faconde,
Au lieu des lambeaux de ses vieux haillons immondes.
De pouvoir s’inspirer de son art oratoire,
Qui éclipse tous les orateurs du prétoire.

De s’altérer de sa source claire et limpide
Pour que ses vers poussent dans les sables arides.
De recevoir de ses idées une lumière
Dépassant l’éclat du soleil sur l’univers.

De composer à partir de sa fluidité
Des poèmes mieux que ceux de l’antiquité.
Quand on prétend être comme lui, vif d’esprit,
On peut présumer du savoir qu’il m’a appris.

Puise dans les sciences de ce savant illustre.
Nul n’atteint son niveau et encor moins son lustre.
Aucun homme n’est de la trempe du poète
Qui lui doit le talent l’ayant haussé au faîte.

Il offre ces vers empreints de gratitude
A qui enseigne les arts par mansuétude.
A nous l’on demande des faveurs qui se donnent
Pour s’enrichir et se revêtir sans maldonne.

Je n’ai pas affronté son immense océan
Pour faire fortune. Ce n’en est point séant.
Je m’y suis engagé afin d’être au secret
De la langue arabe dans ses meilleurs apprêts.

Ce que j’ai à offrir est un bouquet de fleurs
Qu’il a arrosées pour leurs belles couleurs.
Quand j’ai le désir de vanter ses qualités,
Les rimes m’arrivent avec docilité.

J’étudie ses attraits dans son panégyrique,
Puis, je les livre à la réflexion des critiques.
Je les peints telles des merveilles qui dansent
Et les mets en valeur quand elles sont en transe.

Vierge, l’une d’elles, vient en déambulant,
Couverte d’un très beau voile en soie nonchalant.
Sa façon de parler séduit et ensorcelle.
Musique et boisson sont ses deux flottantes ailes.

Je ne la voudrais comme épouse légitime
Qu’au cheikh qui rehausse tous mes vers de ses rimes.
Je lui présente, tout embaumés de fleurs
Mes hommages qui lui sont rendus à toute heure.

Sa lignée fait bien sûr partie de cet élan
Qui embrasse les fils, surtout Abou Imran.
Que Dieu veille sur vous, vous guide et vous protège
Du mal qui sévit et de tous les sacrilèges.

Votre envieux sera exposé au mépris
Et, toute honte bue, en restera aigri.
Mais celui qu’attirent les secrets de la science
Aura fait son devoir, en son âme et conscience.

Le 14 janvier 1928, j’ai adressé le poème ci-dessus à mon ami Abdelaziz Doukkali, lui reprochant d’avoir cessé de m’écrire et lui faisant part de mon désir passionné d’avoir l’insigne privilège d’être reçu par son père et mon maître, le cheikh Abou Chouâib Doukkali.