Imprimer

(I)

Je brûle d’un ardent désir de bien connaître
L’artiste de talent qui sait parler en maître,
Eloquent orateur et poète émérite,
Artisan raffiné, orfèvre de mérite,

Lettré et cultivé, abîme de savoir,
Parlant toujours avec l’emphase du prétoire.
Grâce à sa filiation il se pare en prestige;
Sa lignée a produit plusieurs enfants prodiges,

Serviteurs de l’Etat, ministres par devoir,
Jouissant d’un renom tout sauf ostentatoire.
Puise dans son cours d’eau qu’il soigne et qu’il endigue,
Joutes oratoires et conseils qu’il prodigue.

J’ai pris un grand plaisir à ouïr ses discours;
Je m’en repais et m’en délecte nuit et jour.
Je voudrais être tout le temps à son écoute;
Il est pour moi un très bon compagnon de route.

Mon souhait le plus cher est que ses causeries,
Monument de savoir, ne soient jamais taries.
Je remets à jour mes acquis de connaissances,
Dans l’ordre des lettres, des arts et de la science.

Quel merveilleux poète et quel homme de lettres!
Il a ravi la palme à nombre d’autres reîtres.
Une incroyable envie d’écouter ses propos
S’empare de tout coeur et ce, fort à propos.

J’attends impatiemment le jour de ta visite
Pour mieux apprécier les bons mots que tu récites.
Hâte-toi d’exhaucer mon voeu le plus fervent,
Sans cesser de brosser tes récits captivants.

Poète émérite, talentueux d’esprit!
Tu rends le réel à travers l’imagerie.
Ne cesse d’aiguiser ton esprit créatif
Qui trouve auprès de moi un écho réflexif.

L’ouïe ne remplit pas la fonction de la vue,
Qui est un vrai rempart contre tout imprévu.
Si mon état pouvait répondre à mes désirs,
Et qu’il m’eût permis de me lever pour sortir,

Je ne tarderais guère à te rendre visite,
Mais le chronique mal qui me ronge et m’habite
Me fait garder le lit, de tourments angoissé,
De soucis accablé, vaincu et terrassé.

La science ne lui a trouvé aucun remède
Et est fort impuissante à me venir en aide.
Je ne peux qu’exposer mes griefs au bon Dieu,
Seul détenteur de tous les pouvoirs impérieux.

Si le coeur vous en dit, répondez à l’appel,
Hâtez-vous de venir, sans besoin de rappel.
Je vous fais un salut d’amitié et d’estime,
Et vous place très haut, par delà toute cime.

(II)

En proie à des flammes voltigeant à l’envi,
J’ai fait appel à toi dont l’esprit m’a ravi,
J’attends toujours d’avoir au moins une promesse
Avant que sur terre d’exister ma vie cesse.

Quand les nuages qui s’entassent dans le ciel
De mon coeur passeront-ils sans qu’ils s’amoncellent?
Quand allons-nous nouer des liens d’affinités
Qu’un pacte scellera jusqu’à l’éternité?

Nous ne devons craindre ni revers de fortune,
Ni caprice d’une destinée peu commune,
Que nos jugements soient dépourvus d’équité
Ou que nos critiques aient le don d’irriter.

Quand notre muse va-t-elle mettre en valeur
Ce qu’a d’admirable le pouvoir créateur
Des mots qui font que la poésie est un art
D’où retentit une musique des plus rares?

Des ignorants elle provoque le courroux
Jetant le discrédit sur leur dépit jaloux.
Hâte-toi avant le dur assaut de la mort,
Car je la vois rôder tout près de mes abords.

Mon voeu est de ravir au vol du temps qui passe
Un moment de bonheur avant que je trépasse,
Afin de relier à la vie éternelle
Le génie créatif d’un poète mortel.

Les plus beaux poèmes ont une longue vie.
L’accueil qui leur est fait ajoute à leur survie.
Mais si le genre n’est pas de bonne facture,
Il ne survivra pas au cours du temps qui dure.

Nous sommes contraints de nous y porter garants,
Quitte à l’épurer dans les cas les plus flagrants.
Mais c’est une lourde tâche de l’affiner
Dans l’état où il est, lié et enchaîné.

Nous souhaitons que nos rencontres se déroulent
Au large d’une mer, non troublée par la houle.
Si le premier contact peut laisser quelques traces,
Je serai comblé d’aise en y mettant la grâce.

Tu es un bréviaire des notions scientifiques,
Qui sait bien distinguer le faux de l’authentique.
Les esprits font assaut à toutes tes idées,
Pour orner le collier de leur cou dénudé,

Je perds toute patience et brûle du désir
de t’accueillir chez moi, mais quand vas-tu venir?
Le jour où nous pourrons enfin nous réunir
Nous fêterons de la langue toute la lyre.

Mais si, en ruinant mes espoirs, tu me déçois,
La mort sera l’issue pour éteindre ma voix.
Exerce donc le choix que tu crois judicieux,
Entre l’amitié vraie et le rejet hargneux.

Nous aurons peut-être besoin de recourir
A un ami commun, pour ainsi nous servir
D’intermédiaire et d’un très affable courrier
Honnête et de bon coeur sans se faire prier.

Pour moi, “Abdelaziz” est un fin diplomate,
D’idées pertinentes, homme de bonne pâte,
C’est mon disciple dont j’ai toujours été fier
Et apprécié en lui l’aimable caractère.

Rares sont ceux qui ont la sagesse requise
Pour qu’ils mènent à bien une telle entreprise.
Voilà pourquoi je lui confie la mission
D’accéder au gîte où fleurit la création.

En date du 24 août 1964, j’ai adressé au poète Driss Eljay un poème assorti d’une lettre d’accompagnement libellée comme suit:

“Au poète émérite Driss Eljay,

“Cette lettre émane d’un admirateur de ta vivacité d’esprit, de ton inspiration débordante, de ton éloquence discursive et de ton goût pour la rhétorique, autant de qualités qui se font de plus en plus rares auprès de la jeunesse des générations montantes qui, à ce que je vois, s’empêtre dans les ténèbres de l’ignorance, se débat de long en large dans les mers des querelles passionnées, sans pudeur ni gêne, sans peur d’être l’objet d’un quelconque reproche, se laissant séduire par l’auréole des cultures étrangères auxquelles elle se soumet en aveugle, ne sachant rien d’elle-même, ballotée qu’elle est par les vagues de plus en plus hautes de la perdition, après avoir puisé aux sources de l’absurde jusqu’à la lie. Mais, Dieu merci, des gens comme vous émergent de temps à autre, même si leur nombre diminue. Ils méritent qu’on leur voue estime et considération. Ceci met en exergue l’opinion que j’ai de vous et les sentiments que je nourris à votre égard. Preuve en est ce petit poème que mon inspiration m’a dicté pour illustrer l’admiration que je vous porte. J’espère que vous lui réserverez l’accueil qu’il mérite et que vous lui donnerez suite, afin de renforcer l’harmonie d’une relation qui cherche à s’établir entre nous et à sceller des liens d’amitié aussi solides que durables”.

Je lui ai fait parvenir en date du 22 octobre 1964 un autre poème accompagné de quelques lignes, dont ci-dessus, grossièrement brossé, le texte réitérant l’invitation que je lui ai adressée précédemment de me rendre visite, demeuré sans réponse:

“Ceci est une seconde lettre que je vous adresse, espérant qu’elle sera accueillie avec l’attention qu’elle mérite et qu’elle ne connaîtra pas le sort réservé à celle qui l’avait précédée, à savoir la négligence, le manque d’intérêt, le mépris et le rejet dans la corbeille des oubliettes, comme si elle émanait d’un adversaire déclaré ou d’un ennemi juré, non de quelqu’un qui recherche ton amitié et exprime le souhait de te rencontrer. Mais, faisons grâce au passé”…