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Le rappel du passé réveille les passions
Tant les vieux souvenirs sont chargés d’émotions.
Témoins oculaires et sources auditives
Sont les acteurs de la conscience collective.

Montrons aux jeunes de cette génération
Le vrai sens de l’honneur et de la soif d’action.
Valorisons cette page de notre histoire
Qui met en valeur les hauts faits de nos victoires.

Notre arsenal d’armes est de perles serti
Couvertes de lauriers à la gloire assortis.
Offrons-les au grand chef sans peur et sans reproche
Qui ne craint ni pièges ni anguilles sous roche,

Qui du clan ennemi repousse les assauts,
Le met en déroute et le poursuit en sursaut,
L’arrosant d’un venin au goût des plus amers
Et lui faisant subir revers après revers.

L’Espagne en a souffert de toutes les couleurs
Et n’a jamais autant enduré de malheurs.
Tombée au bas degré de tant d’ignominie,
Elle s’est vue ravalée au banc de l’infâmie.

Son armée a subi des assauts coup sur coup,
Lui infligeant pertes et très graves à-coups.
Elle a sollicité l’aide des alliés
Pour porter secours à son armée humiliée.

Retentissante est la bataille d’Anouel;
Elle a tout fait trembler, et le trône et l’autel.
Ses assauts répétés l’ont mis en position
D’acculer l’ennemi à l’âpre reddition.

Son armée a failli s’accaparer de Fès,
Coeur battant du pays, qu’à l’assayant ne plaise!
Il est venu de nuit, déferlant tel l’éclair,
Encerclant l’ennemi, le vouant à l’enfer.

Mais l’accueil outrageant de nos représentants
Nous a causé un tort pour le moins révoltant.
Ils ont tous suggéré au pouvoir établi
De payer son tribut à l’ultime conflit.

La lutte a donc repris entre les deux rivaux,
Déployant leurs forces, et par monts et par vaux.
“Abdelkrim”, se voyant tout près de la défaite,
A opté pour l’exil comme lieu de retraite,

Préférant que le sang s’arrêtât de couler
Face à des forces qu’il ne pouvait égaler,
Jugeant suicidaire de poursuivre la lutte
Que, dès lors renforcé, l’adversaire suppute.

Nombre de détracteurs, ravis de leurs succès,
Tombent victimes de leurs sordides excès.
Ils ont pu remarquer les hautes qualités
Du chef incontesté, de l’homme révolté.

S’ils n’étaient pas la proie d’un rêve saugrenu,
Ils auraient évité toute déconvenue.
Puis, ils ont vu leurs biens confisqués et spoliés,
Et les colons dans leurs terres domiciliés,

Ayant créé des fonds dominants et des serres
D’accès interdit à leurs vrais propriétaires.
Mais avec “le latif” (1), le combat a repris.
Une nouvelle ère les a ainsi surpris.

Avec cette prière ils se sont adressés
Au Très Haut pour que leurs voeux fussent exaucés.
Le pays tout entier s’est d’un coup soulevé
Dénonçant l’infâmie d’une loi réprouvée,

Tendant à éloigner des sentiers de sa foi
Un peuple qu’on traîne sur la voie de la croix.
Leur but est d’éviter que l’Islam se révolte,
Et reprenne les bastions autour des places fortes,

Qu’il engage le peuple à vivre dans l’espoir
De barrer aux intrus le chemin du terroir.
Dans leur esprit l’Islam est une impureté
Qui atteint le coeur et les yeux de cécité.

Ils nous ont subjugués, soumis aux voluptés,
Ont ravi notre esprit et notre dignité.
Ils ont fait miroiter de fausses illusions,
Sans jamais nous montrer la voie de la raison,

Qui tend à orienter la gent des hésitants
Pour qui les ordures sont un plat excitant.
La corruption des moeurs a souillé notre vie.
Son mal s’est installé dans le corps et sévit.

Nous menons désormais une vie sans soucis
Et, de tous les plaisirs, sommes à la merci.

(1) La prière du “Latif” est destinée à solliciter l’aide de Dieu quand interviennent des calamités telles que sécheresse, épidémies, inondations, invasion de sauterelles et autres fléaux de ce genre.

Dans le cas du dahir sur la réorganisation de la justice berbère, cette prière fut récitée à la grande mosquée de Salé en guise de protestation contre la promulgation d’une loi destinée à diviser le pays en deux communautés distinctes, la communauté d’origine arabe, de confession musulmane, soumise à l’autorité judiciaire du cadi et la population de souche berbère qu’on cherchait à extraire de la compétence de celui-ci, sous prétexte qu’elle a de tout temps été régie par les lois coutumières du “Orf”.

Abdelkrim Al Khattabi, précurseur de la guérilla moderne, est né vers 1882 dans la localité rifaine d’Ajdir et est décédé le 6 février 1963 au Caire où il s’est installé au lendemain de son exil à l’Ile de la Réunion où il a dû subir l’éloignement de sa patrie pendant plus de 20 ans après sa défaite en 1926 dans la guerre du Rif.

En juillet 1921, il fonde une armée de volontaires qui lui a permis de reprendre la garnison d’Anouel, après avoir défait les 4000 soldats espagnols qui s’y trouvaient stationnés. Le général Silvestre qui commandait la garnison et 1300 de ses soldats ont péri dans cette embuscade. Les succès remportés par Abdelkrim l’ont conduit jusqu’aux portes de Fès en 1925 , ce qui a amené les gouvernements français et espagnol à engager en commun une guerre d’usure contre l’armée rifaine Les armées de la coalition franco-espagnole étaient soutenues par une logistique des plus modernes qui permettait d’utiliser une variété impressionnante d’armements contre les maquisards du front, y compris les armes chimiques du genre gaz moutarde ou gaz toxique dont l’usage état strictement interdit par la législation internationale.

Lorsque la guerre du Rif a éclaté en 1921, notre jeune poète, alors âgé de 20 ans, était l’un des fervents partisans de la révolution rifaine. Une note de l’historien Mohammed Zniber nous apprend qu’il entretenait une correspondance suivie avec ses principaux dirigeantset qu’il leur a proposé de mettre à leur disposition son domicile à Salé pour en faire à la fois un lieu de recrutement des volontaires et un dispensaire pour soigner les blessés en provenance du front. Le poème ci-après se propose de peindre dans une vaste fresque historique les hauts faits d’armes où Abdelkrim et l’armée rifaine se sont particulièrement distingués.