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“Les partis se retrouvent entraînés dans une spirale qui les éloigne de l’objectif premier de l’action politique: le bien commun. Leur quête effrénée du pouvoir, de la belle image et de l’argent les met en situation d’imposture, de luttes stériles, de gaspillage de ressources humaines et financières. Surtout, ils mènent à une dépersonnalisation sérieuse de leurs membres et des citoyens en général”.

Cette citation, extraite du livre “Abolir les partis politiques” d’Ariane Gratton Jacob, s’applique à la situation des partis politiques marocains qui se sont livrés à une confrontation acharnée aussi bien pendant l’ère du Protectorat qu’au lendemain de l’indépendance. Cette guerre larvée s’est poursuivie après la scission du Parti de l’Istiqlal intervenue le 25 janvier 1959, lorsque les deux formations issues de ce parti ont choisi le dénigrement et les diffamations comme armes politiques, à la fois sur le plan verbal et par leurs journaux respectifs interposés. Le climat qui en est résulté a contribué à jeter le discrédit sur l’action politique des partis. Il est utile de préciser que les poèmes ci-après ont éte composés pendant cette période de réglement de comptes qui a opposé la vague progressiste aux conservateurs traditionnels:

Les partis ou la lutte pour le pouvoir

Nous devons à la vraie Tradition du Prophète
Et au Livre sacré d’avoir accès au faîte
Du souverain bien en prenant le droit chemin,
Symbôle de notre foi dans l’ordre divin.

En nous en réclamant comme sources de droit,
Nous n’aurions pas chu dans l’horrible désarroi,
Ni été séduits par les beaux discours trompeurs,
Ou laissés sans coup férir induire en erreur.

Nous n’aurions pas été divisés en factions
Ni poussés par la haine à des confrontations.
Notre identité se serait épanouie,
Et le droit chemin nous aurait tous éblouis.

Nous serions assez loin des luttes acharnées,
Des propos animés, des rejets effrénés,
Dans le respect de la voie qui nous est tracée,
Loin des chemins où l’on peut aisément glisser.

Nous imitons les cris des oiseaux de malheur
Dans tous nos conflits qui ne vont jamais sans heurts.
Nous avons transformé notre union en discorde
Où les partis au cou nous tiennent par la corde.

Nous nous sommes perdus dans l’amère déroute,
Cherchant comme au désert quelques traces de routes,
En acceptant d’être trompés et enchaînés,
Humiliés, avilis, asservis et vannés.

Nombreux sont les partis qui cherchent des soutiens
Et en contrepartie n’offrent strictement rien.
Ils connaissent entre eux de graves désaccords,
Se traduisant souvent par une lutte à mort.

Quand on nous annonce quelques heureux présages,
Nous manifestons peu d’intérêt au message.
Nous avons rejeté tous les ordres prescrits,
Marquant pour les conflits un très net parti-pris.

Quand on nous prodigue d’un sage un bon conseil,
Peu nous chaut ce qu’il nous miroite de merveilles,
Alors qu’il nous montre une ligne de conduite
Plus claire que toutes celles qui nous habitent.

Dès lors qu’on voit une certitude absolue
Jaillir du vide on dit: son temps est révolu.
Nous pensons que même le Coran n’offre pas
De préceptes dont la lueur guide nos pas.

Nous nous sommes laissés aveugler par l’erreur,
Trahir par les revers, pour comble de malheur.
Puis, fait défaut entre nous et le sentiment
De notre dignité l’art du discernement.

Chers compatriotes, les autres pays luttent,
On les voit s’engager partout tous azimuths.
Emboitez-leur le pas et briguez leurs lauriers.
Ou voulez-vous rester à jamais humiliés?

Nous devons tous tirer des leçons de l’histoire,
Et de la foi celles sacrées de nos devoirs.
De leur enseignement le chemin s’éclaircit,
Le voile se lève sur les zônes noircies.

Lorsque nous cherchons à réussir dans la vie,
Le succès dépendra de l’effort poursuivi.
Ainsi l’édicte la loi de bonne conduite.
Respectez les règles qu’elle vous a prescrites.

Rivalisant avec les jardins édéniques,
Son parc fleuri exhale un parfum mirifique.
Son verger verdoyant offre un doux pâturage
Aux troupeaux qu’attire un luxuriant herbage.

Avantages et inconvénients du pluripartisme

Du pluripartisme sur nous jaillit le mal,
Source de duels aux issues souvent fatales.
Il transforme en haine l’amitié la plus pure
Et expose à tous les actes de forfaiture.

L’être humain n’admet pas que d’autres aient des droits
Et tels des ennemis, les soumet à sa loi.
Ces idées émergent dans des cercles obscurs,
Où vociférations, haine, mépris perdurent.

Si au moins l’intérêt général prévalait,
La critique y serait justement formulée,
Ne se distillerait point comme un vrai poison,
Autre casus belli défiant la raison.

L’esprit de clan ne doit sa légitimité
Qu’en exaltant les droits de la communauté,
Le pacte social qui honore la justice,
Le don de soi mû par l’esprit de sacrifice.

Ce n’est qu’alors que tous les espoirs sont permis,
Que la vie en commun regroupe ses débris,
Que les esprits soucieux n’ont plus à s’agiter,
Verront devant eux la “qibla” de sainteté.(1)

Ils valorisent les sacrifices requis
Pour défendre leurs biens si chèrement acquis.
S’ils se détournent par malheur du droit chemin,
Ils seront la cible de discordes sans fin.

On risque de violer leur lieu d’habitation;
Ils encourront ainsi haine et humiliation.
En traînant le pas dans les dernières rangées,
Ils baisseront aux yeux de l’intrus étranger.

Quand ils doivent faire preuve d’initiative,
Ils se transforment en poussière et s’invectivent.
Ils s’accusent les uns les autres de rapines,
De malversations, de pillages et de ruine.

Tout ce que prétend l’un au détriment de l’autre,
Est de lui donner tort, jouant le bon apôtre.
Mais ils sont tous égaux s’agissant de mal faire;
Sont-ils au moins polis? C’est là tout le mystère!

Ces partis toujours en quête de partenaires
Se disent exempts de défauts et de travers.
Ils se complaisent tous dans les subtilités
De discours, d’arguties, toutes les qualités.

Ils taxent l’autre clan de noires trahisons,
Lui jettent l’anathème et d’injustes soupçons.
Ils cherchent à le tenir loin de la source d’eau
Qui accroît constamment le débit du ruisseau.

Qu’offrent les partis de concret pour la nation?
Celle-ci n’y voit que matière à suspicion.
La preuve en est cette flamme d’orgueil qui monte
En fumée derrière un très grand rideau de honte.

En ayant recours au rite du sacrifice,
Ils jettent le mauvais sort et le maléfice.
La guerre de plume qu’ils mènent à outrance
Leur sert dans la mêlée d’un puissant fer de lance.

Ils ont nui au pays qui les a engendrés,
Lui ont porté du tort sans qu’ils lui sachent gré,
Ont détruit ses remparts et tous ses parapets,
L’ont taillé en morceaux au fil de leur épée.

Ils y ont insufflé un air empoisonné
Et y ont mis le feu qui a tout calciné,
Réduisant à néant tout effort vers l’union,
Souillant le prestige de toute la nation.

Ils s’en détournent quand elle est dans le besoin,
Prétendant trouver mieux ailleurs en payant moins,
La privant de secours et d’aide mutuelle
Lui servant des coupes qui débordent de fiel.

Quel ignoble crime et puis quelle ingratitude
Leur donnent droit de se vautrer en turpitude!
Leur unique souci est de tirer profit
Des débris de ce monde où rien ne leur suffit.

(1) “Qibla” : mot arabe qui désigne la direction de la Mecque

Les partis et l’esprit de clan

L’esprit de clan nous a ruinés et désunis,
Semant le trouble dans les coeurs qui se renient.
Nous sommes excités tels des chiens qui aboient
Avec aigreur devant une proie aux abois.

Nous avons suivi nos caprices sans tenir
Compte de nos liens qui risquent de se ternir.
Nous avons tourné le dos aux sages conseils
Du Coran, livre saint à nul autre pareil.

Notre souci est de gagner de plus en plus,
De vouloir vivre dans le faste du surplus.
Nous nous écartons des esprits purs et rassis
Qui n’admettent autour d’eux aucun ramassis.

Nous leur vouons une très franche hostilité
Et leur lançons un vif regard bien rebuté.
Par monts et par vaux on nous voit dans des sentiers
Hérissés de ronces, d’épines, d’églantiers.

Quand on nous appelle vers la voie du salut,
Nous préférons rester au rebord du talus.
Mais quand le chantre du vice nous interpelle,
Nous nous hâtons vite de répondre à l’appel.

On nous voit quitter les sentiers de la grandeur,
Prétendant qu’ils mènent à la voie de l’erreur.
Mais nombreux sont ceux qui s’inscrivent aux partis,
En bandes rivales, en factions réparties.

Parmi eux, il en est qui sont récalcitrants,
Qui se méfient des discours tonitruants.
Ne les intéressent que les futilités
De l’esprit qui ne sont d’aucune utilité.

N’étant embrigadés dans aucun des courants,
Avant qu’ils n’aient ainsi pu disloquer nos rangs,
Nous voilà réduits à un troupeau dispersé,
Ravalant son courroux, sa seule panacée.

Nous n’avons cessé dès lors de nous divertir,
Radotant au bord de la crise de délire.
Tantôt nous braillons tels de stupides ivrognes,
Tantôt avec les loups nous hurlons sans vergogne.

Nous nous éloignons de toutes les voies qui mènent
A la concorde ainsi qu’à tout contact amène.
Nous grimpons le mur de la honte par paliers,
Usant des insultes comme d’un bouclier.

Aussi est-il rare que les crieurs publics
Font entendre leur voix auprès du grand public.
Le chantre du mal nous recommande de rompre
Nos liens et de nourrir l’espoir de vivre à l’ombre.

Les partis disposent chacun de matériel
Pouvant donner accès au fin fond du tunnel.
En dehors de ses rangs il ne voit qu’errements
Contagieux comme le mal d’un pestilent.

Nous glissons vers le bas tout au long d’une corde
En ne mettant pas fin à toutes nos discordes.
Nos erreurs nous feront courir un grand péril,
Surtout si nous restons l’air soumis et docile.

Si nous demeurons dans l’état où nous étions,
De troubles, de remous et de perturbations,
Sans tenir compte des expériences passées,
Il nous sera promis un sort de noir tracé.

La confrontation politicienne des partis

La nation se doit d’être à l’abri de la ruine
Et bien protégée des partis qui la butinent.
Leurs manoeuvres lui ont valu d’être déchue;
Le gîte et le couvert voilà où ils ont chu.

Ils se couvrent derrière un arsenal de lois
Etabli pour priver le public de ses droits.
L’arme de séduction nous a bien enchantés;
En nous procurant une sainte volupté.

Ils nous ont induits en abjectes impiétés,
Forfaits pour lesquels la peine est bien méritée.
Quand Dieu veut infliger de justes punitions
A l’homme ingrat, il le couvre d’humiliation.

Mais s’il persiste dans le cours de son erreur,
Il n’aura guère accès au monde des valeurs.
Si Dieu veut le jeter au fond du précipice,
La lutte des partis sera son vrai supplice.

Il boira le calice et ce jusqu’à la lie,
Pour étouffer de rage et crever de dépit.
S’il n’est pas à l’abri d’un revers de fortune,
Il ira se plaindre de manière importune.

Il se mettra à fuir dans l’état de déroute,
Ne sachant où aller ni s’il fait fausse route.
Il cherche refuge dans la médiocrité,
Victime du mépris, honteux et rejeté.

Il s’écarte de la voie de témérité,
Errant dans un désert aride et dévasté.
Ses compagnons et lui sont toujours à l’affût
Des restes d’ordures que l’on jette au rebut.

Ils vont à l’aveuglette et sont à la merci
D’une nuit noire où ne pointe aucune éclaircie.
Bouchés à l’émeri, ensemble ils ne saisissent
Ni le sens d’un discours ni ses fins artifices.

Lorsqu’on leur tient le langage de la franchise,
Ils n’en comprennent pas la portée bien précise.
Ils nous ont désunis avec maints subterfuges,
Et promis l’adhésion dans les rangs des transfuges.

Nous avons négligé les discussions sérieuses
Pour nous engager dans des diatribes haineuses;
Et nous voilà dans un climat d’hostilités
D’où se dégage une frénésie exaltée.

Quand allons-nous oeuvrer pour une vie heureuse,
Unifier nos rangs et purifier l’eau bourbeuse?
Les intrigues partout secrètent leur poison;
Les affinités y perdent rime et raison.

Si nous ne montons pas un vrai cheval de race,
Nous nous exposerons à un péril tenace.
Si nous nous abstenons de demander conseil
Mieux vaut perdre son temps et bayer aux corneilles.

Et à chacun des chocs dont nous sommes victimes,
Une paleur de rage éclate sur nos mines.
Nous aurons à subir de graves préjudices
Et être appelés à faire des sacrifices.

En perpétrant des actes de dévastation,
C’est le discrédit qu’on jette sur la nation
Qui devra affronter bien des calamités
Et tous les ravages qui lui sont imputés.

Je me vois porter un jugement téméraire
Sur un peuple qui cherche une voie salutaire,
Sous les auspices d’un roi qui nous a donné
Une bonne opinion des conduites bien nées,

Un Roi auréolé d’un prestige éclairé,
Respectant le pouvoir de tradition sacrée,
Qui résoud les conflits naissants à l’amiable,
Avec un savoir-faire et un doigté affables.

Il fait l’union malgré les animosités
Et met fin aux rancoeurs par son autorité.
Testez les facultés de votre état d’esprit,
A moins d’être égarés et devenus aigris,

Vous devriez vivre dans l’entente entre vous,
Sinon la plaie s’infecte à votre grand courroux.
Celui qui compromet son état de santé
Paiera cher ce qu’il aura bien mérité.